Daniel Schwartz, spécialiste de la statistique médicale

L’apport à la médecine de cet homme qui n’était pas médecin est immense. Daniel Schwartz, mort le 6 septembre à l’âge de 92 ans des suites d’un accident vasculaire cérébral, a introduit en France la méthode statistique dans le monde médical. Il a aussi concrètement démontré que tous les domaines de la médecine pouvaient bénéficier de cette méthode.

Daniel Schwartz a formé des milliers de médecins à la statistique. « Il y a un avant et un après Daniel Schwartz : il a introduit la mesure dans la médecine française, qui jusqu’alors était avant tout humaniste. Un humanisme nécessaire mais pas suffisant », explique son élève Joseph Lellouch, ancien directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Il était issu d’une prestigieuse famille de médecins. « Son père, Anselme Schwartz, avait quitté en 1872, à 4 ans, son Alsace natale, à l’époque dans le giron de l’Allemagne, pour venir en France. Il fut par la suite nommé chirurgien des hôpitaux de Paris à une époque où les juifs n’étaient pas les bienvenus dans ce milieu », raconte Alfred Spira, lui aussi son disciple.

Sa mère, Claire Debré, était la soeur du professeur Robert Debré, père de la réforme créant les centres hospitaliers universitaires (CHU). « Il a toujours eu beaucoup d’affection et de respect pour l' »oncle Robert », comme il l’appelait, même, si en Mai 68, ses sympathies pour le mouvement de contestation avaient fâché Robert Debré. Ils s’étaient ensuite réconciliés », témoigne Philippe Lazar, ancien directeur général de l’Inserm, lui aussi formé par Daniel Schwartz.

Son frère aîné, Laurent, était un mathématicien de renommée internationale, et le benjamin, Bertrand, polytechnicien, est ingénieur des Mines. Elève lui aussi de l’Ecole polytechnique (promotion 1937), il rejoint le Service d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes (Seita). Ingénieur, il est affecté au service de recherches biologiques. Ayant complété sa formation en biologie et en statistique biologique, il étudie les maladies provoquées chez l’homme par le tabac, au moment où débutent les grandes enquêtes anglo-saxonnes sur le tabagisme.

Entouré de plusieurs de ses élèves et avec l’appui inconditionnel du directeur de l’Institut Gustave-Roussy, Pierre Denoix, Daniel Schwartz a organisé en 1953 la première grande enquête sur les liens entre tabagisme et cancers bronchopulmonaires. Cette étude met au jour des notions décisives, en particulier le rôle aggravant de l’inhalation de la fumée de cigarette et la responsabilité du tabagisme dans le cancer de la vessie.

A partir de 1954, il enseigne la statistique à l’Institut Henri-Poincaré à Paris. « C’était l’antre des mathématiciens purs et durs. Une fois par semaine de 21 heures à 23 heures, il y donnait des cours facultatifs mais suivis par des médecins qui venaient même s’il n’y avait pas de diplôme à la clé. Ce fut l’ancêtre du Centre d’enseignement de la statistique appliquée à la médecine et à la biologie médicale (Cesam) », rapporte Joseph Lellouch.

Daniel Schwartz rejoint l’Institut Gustave-Roussy comme chef des services statistiques en 1959, l’année où il est nommé maître de recherche à l’Institut national d’hygiène, qui deviendra en 1964 l’Inserm. C’est là qu’est créée pour lui l’unité 21, également connue sous le nom d’« école de Villejuif », à partir de laquelle lui et ses élèves rayonnent dans de nombreux domaines : la périnatologie avec Claude Rumeau-Rouquette puis Gérard Bréart, la cancérologie avec Robert Flamant, la diabétologie avec Evelyne Eschwège, l’épidémiologie génétique avec Joshué Feingold, la cardiologie avec Joseph Lellouch, Jena-Louis Richard et Pierre Ducimetière, l’épidémiologie environnementale avec Philippe Lazar puis Denis Hémon, l’infectiologie, avec Alain-Jacques Valleron, la sexualité et la reproduction avec Alfred Spira, la neuroépidémiologie avec Annick Alpérovitch…

Daniel Schwartz a introduit une révolution dans la façon de penser la recherche clinique et thérapeutique en France. Avec Joseph Lellouch, il a défini des règles moralement acceptables pour les essais thérapeutiques et l’utilisation dans ce cadre du tirage au sort des participants et du placebo (substance neutre à laquelle est comparé un médicament). Règles reconnues par le Comité national consultatif d’éthique, dont il est membre de 1983 à 1992. Bien que non médecin, il est nommé professeur à la faculté de médecine Paris – XI.

« Puissance logique »

« Daniel Schwartz séduisait et impressionnait par une puissance logique hors du commun, s’éloignant du formalisme mathématique, par une capacité de simplifier des choses extrêmement compliquées et par une très grande curiosité à l’égard de tous les domaines de la vie – les plantes, les fleurs (il était un spécialiste des tulipes) – mais également la littérature et le théâtre », se souvient Alfred Spira. Daniel Schwartz avait écrit une pièce de théâtre, Les Cocottes en papier.

« Il était très exigeant, raconte Philippe Lazar. Quand nous voyions la pointe de ses chaussures, dépassant de dessous son bureau, commencer à s’agiter, nous savions qu’il était temps de terminer notre discours. Mais c’était également quelqu’un de passionné et plein d’humour. Il nous fit beaucoup rire en décrivant avec un grand sérieux un « essai gastrocontrôlé » comparant les qualités d’un poulet moutarde préparé avec de la vraie moutarde à celles d’un poulet préparé avec un placebo. »

Réputé internationalement, Daniel Schwartz inspirait le respect, bien au-delà du cercle de ses proches. Ainsi François Grémy, professeur honoraire de santé publique : « J’ai été son élève, un moment son concurrent, mais toujours un collègue admiratif et respectueux. C’est lui qui le premier a initié le jeune professeur agrégé que j’étais, avec un exceptionnel sens de la pédagogie, à l’esprit et à la méthode de la biostatistique et à ses applications cliniques. Quelques années plus tard, je me suis à mon tour lancé dans la gestion et le traitement de l’information médicale, par le biais de l’informatique. Certains ont pu y voir une compétition, alors que le champ potentiel d’application de nos disciplines était immense. Cinquante ans après, l’ensemble du territoire national était couvert. Toujours Daniel Schwartz est resté à la base de ce développement. Le rôle de son immense école fut immense. »

« Tous les épidémiologistes français ont été d’une certaine manière les élèves de Daniel Schwartz », a déclaré Roger Salamon, président du Haut Conseil de la santé publique.

Article écrit par Paul Benkimoun

Source : https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2009/09/08/daniel-schwartz-specialiste-de-la-statistique-medicale_1237529_3382.html

Par Noam Mosséri – Juifs célèbres © Tous droits réservés.