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Michel Jonas rend hommage aux victimes de la Shoah

Né en France de parents juifs hongrois, Michel Jonas est un célèbre chanteur de variété française. Bouleversé par la Shoa dans son plus jeune âge, il revient souvent sur ce sujet :

«  Mon grand-père, Abraham Weisberg, à qui je rends hommage à travers mon spectacle [«Abraham» présenté actuellement à la Gaîté Montparnasse], est né en 1887 en Pologne. A l’âge de 20 ans, il part en Hongrie épouser Rosele, la fille d’un sage que tout le monde consulte. Ce couple très uni a sept enfants parmi lesquels ma mère, Charlotte.

Abraham est kantor à la synagogue et tient en même temps une petite épicerie où l’on trouve un peu de tout. Il n’est pas bien riche car il passe sa vie à faire crédit à ses clients. Quand Louis, son fils aîné, obtient son bac, Abraham l’envoie à Paris par l’intermédiaire d’une association juive, qui paye le voyage, pour qu’il puisse y entreprendre des études de médecine.

Quatre des autres enfants rejoindront par la suite leur frère aîné à Paris. Il y a d’abord sa sœur Mancy, qui ouvre à Blanc-Mesnil un petit salon de coiffure où travaillera ma mère lorsqu’elle arrivera elle-même en France à l’âge de 16 ans. Elle y fera d’ailleurs la connaissance de mon père, un client du salon, lui-même d’origine hongroise. A l’exception de cette sœur, ma mère va perdre toute sa famille pendant la guerre.

D’abord ses parents et leurs deux plus jeunes enfants, Isaac et Bella, chassés de Hongrie en Pologne pour y être déportés, puis ses deux frères vivant à Paris. Le premier est dénoncé par le concierge de son immeuble; le second, le médecin, est parti consulter une parente lorsque des policiers viennent arrêter la malade et sa famille. On lui demande ses papiers et on l’embarque avec les autres. Il était juste là au mauvais moment. Les noms de mes deux oncles figurent aujourd’hui au Mémorial de la Shoah. Quant à la dernière sœur de maman, elle est retrouvée morte mystérieusement dans sa chambre de bonne.

Moi, je suis né à Drancy en 1947. Enfant, le dimanche, chez mes grands-parents paternels, on parle beaucoup de la guerre et de la déportation. Je saisis des bribes de conversation et je reconstitue le puzzle. J’ai l’impression d’avoir toujours su ce qui s’était passé. Je n’ai pas la sensation que l’on ait cherché à me cacher quoi que ce soit. Je me souviens d’un jour, à la communale, où un petit garçon me dit: «J’aime pas les Juifs!» Je réponds: «Ah bon! Moi j’en connais un, il est très gentil!» Je n’ose pas lui avouer que je suis Juif. Je sais que c’est être différent, très particulier. Que ça peut aussi être dangereux, même si au fond de moi j’en éprouve une certaine fierté.

Durant mon enfance, j’entends souvent ma mère répéter: «Pourquoi suis-je encore vivante, pourquoi suis-je encore là?» Il y quelques années, je me suis rendu à Auschwitz avec le train de la mémoire. J’y avais emmené ma mère qui voulait voir l’endroit où sa famille avait été décimée. J’ai également retrouvé une photo de famille prise en Hongrie en 1921. On y voit mes grands-parents maternels entourés de leurs enfants, parmi lesquels maman à l’âge de 4 ans. C’est la photo qui est projetée sur grand écran à la fin de mon spectacle et qui figure également, désormais, sur le buffet de la salle à manger de ma mère.

En regardant cette photo, elle continue à me répéter : « Dire que je suis la seule survivante! Hitler a tué toute ma famille…» Je lui demande : «Pourquoi tu parles toujours de ça?» Elle me répond : « Pour ne pas oublier.» A 93 ans, avec une précision inouïe, elle continue à parler de la Hongrie, de sa maison, de son père qui chantait à la synagogue et qui avait une voix admirable.

Les 6 millions de Juifs assassinés pendant la guerre m’ont toujours bouleversé. Pour moi, ils ne représentent pas un chiffre abstrait, mais une vie plus une autre plus une autre. Chaque vie vaut la peine d’être racontée. Celle de mon grand-père Abraham en est une parmi les autres. J’ai fait des recherches très poussées pour retrouver la trace d’Abraham, de Rosele, de Bella et d’Isaac. D’eux, il ne reste rien nulle part. Aucun nom sur un registre, aucun document, le néant absolu. C’est comme s’ils n’avaient jamais existé. Comme s’ils n’avaient jamais été autre chose que cette fumée s’échappant des crématoires. Leur consacrer un spectacle retraçant leur vie, leurs rires et leurs larmes, c’était leur redonner un peu de vie. Ma façon toute personnelle de leur rendre hommage. »

Par Noam Mosseri – Juifs célèbres © Tous droits réservés